Grande bibliothèque pour tout-petits

A l’ombre du grand frêne

Une ode aux grands arbres, une invitation à la réflexion …

“L’arbre va tomber, on se le partage déjà (…)

Il y avait tellement de gens qui s’y abritaient, tellement, qui s’y abritent encore”

Francis Cabrel, L’Arbre va tomber (Samedi soir sur la Terre)

À l’ombre du grand frêne nous avons lu Les géants tombent en silence, de Barroux, paru ce mois de juin aux éditions du Seuil. À la lecture de ce livre, repéré grâce à l’équipe de La Mare aux mots, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cette chanson de Francis Cabrel, sur cet album aux chansons qui n’ont pas pris une ride…  “C’était juste un morceau de bois ; un bout de forêt avancé trop près des maisons…”.

Cet album laisse tout sauf indifférent. Il est un arbre qui raconte son arrivée dans la ville, et sa vie d’arbre qu’il n’aura pas le temps de terminer car on lui coupe littéralement la chique…

Il y a 2 ans, ici, ils ont fait tomber les marronniers centenaires de la rue des Marronniers. Pour faire plus de place pour garer les voitures… J’étais atterrée. (Et vous verrez, à la fin de cet album, les voitures sont là aussi !). N’a-t-on à ce point aucun scrupule encore aujourd’hui, à retirer du vivant qui mérite un tel respect pour faire plus de place aux voitures, encore et encore, le résultat étant juste à l’inverse de ce dont la planète a besoin aujourd’hui : inciter les gens à laisser leur voiture au garage et se déplacer autrement, faire plus de place au vivant…

Quand va-t-on cesser de faire tomber ces grands arbres pour essayer plutôt de faire avec, tant ce geste qui a tout l’air d’un acte égoïste est en fin de compte un manque de respect pour soi-même, puisqu’il nie nos propres besoins humains…

“Quand j’ tombe, tu t’ fais mal
Mais j’ crois qu’ tu comprends que dalle
Car chacune de mes feuilles que tu pilles
C’est un peu moins d’oxygène pour ta ville”                                                                                        (et là, c’est à la chanson de Tryo, Tomber mal, que je vous renvoie)

J’ai lu récemment une interview très intéressante de Pablo Servigne dans le magazine Kaizen, dans laquelle celui-ci disait que pour que les choses bougent, on avait besoin de créer des électrochocs, et qu’il fallait que ça parle au cœur des gens pour qu’ils puissent se mettre en marche efficacement vers le changement. Nous avons besoin de poésie, mais nous avons besoin de réalisme aussi, surtout quand il est question de vie et de mort, de danger imminent qu’il est urgent de signaler. Cela tombe bien, la poésie et le réel font bon ménage et peuvent ensemble toucher les cœurs…  C’est le cas de cet album.

Je me souviens d’une discussion que j’ai eu avec une amie autour du livre Vert, Une histoire dans la jungle, que j’avais présenté ici. Elle le trouvait dur et ne l’aurait pas lu à ses enfants. Pourtant, mon petit bonhomme de 5 ans aime beaucoup ce livre. Pourtant, nous avons besoin de dire aussi ce qu’il se passe. Des silences qui accompagnent inévitablement la prise de conscience. Car c’est après, que viennent les “plus jamais ça”. Nous avons quantité de livres légers, de livres qui nous font rêver et nous en avons aussi besoin. Mais ces livres-là, à la poésie cruelle qui mettent en avant un réel dérangeant se doivent aussi d’exister, pour nous faire tous avancer ! Les enfants y sont sensibles. Et leur intuition naturelle qui ne leur a pas encore été ôtée leur permet de guider leur sensibilité du bon côté. Qu’un maximum de gens soient touchés au cœur, nous en avons besoin. Cela dépasse la question d’un seul arbre coupé. C’est la planète entière dont il est question. Le dernier rapport du GIEC est formel. Nous ne pouvons plus attendre. Au rythme où vont les choses, ce n’est plus dans 50 ans, mais dans 30 ans que la bascule sera irréversible pour l’humanité. Je suis toujours si pleine d’espoir. Il est encore temps de créer des réactions en cascade positives. Il est encore temps d’offrir à nos enfants et à nos petits enfants une vie sans autant de souffrance à venir. Nous pouvons encore arrêter de nous gaver, de leur prendre ce qu’ils n’auront jamais (l’argent amassé sur le compte en banque de certains ne leur sera d’aucun secours) et opérer cette transition vers un autre monde. Rien qu’à se rappeler, comment c’était, dehors, quand nous étions tous enfermés l’an dernier. Rien qu’à se souvenir ces belles images partout sur la planète, où l’eau était plus bleue, l’air plus pur et les animaux et la nature ont eu, le temps d’une parenthèse sortie tout droit d’un roman de science fiction, enfin un peu plus de place…

Et le grand frêne, dans tout ça ?

J’ai regardé ce grand frêne au dessus de ma tête, et il m’a inspiré cet article, entre billet d’humeur, regard sur la beauté juste là, dehors, et, tout de même, militantisme.

À mon arrivée ici, je me suis demandée ce que pouvait bien être ce grand arbre dans le jardin. J’avais identifié un très gros laurier sauce, un grand noisetier, et avec deux rosiers et des bambous qui s’étaient fait la malle à travers le mur des voisins, c’était à peu près tout ce qu’il y avait d’identifiable dans ce jardin envahi alors en grande partie par de l’ail sauvage … Mais cet arbre-là, tout dénudé de l’hiver, je ne voyais pas. Une amie qui s’y connait bien mieux que moi m’a dit de vérifier si dessus il y avait des bourgeons noirs et bingo, il se trouve que cet arbre mystère est un frêne. Un GRAND frêne. Un grand arbre dans un “petit” jardin. Depuis mon emménagement en décembre, je scrute le passage du soleil dans cet espace de vie au jardin … Il me fallait déterminer les heures lumineuses dans chaque recoin pour savoir qu’y planter. J’ai passé beaucoup de temps à observer avant de créer les différents espaces potagers et floraux, j’avais tellement hâte de transformer ce terrain abandonné en petit oasis urbain …  Et je me suis souvent demandée si l’apparition des feuilles (tardivement) du frêne n’allait pas changer tous mes plans ! Effectivement, j’ai changé la disposition plus ou moins prévue des différentes plantes à l’arrivée du printemps, puis de l’été… Car le soleil, beaucoup plus haut, n’éclairait plus tout à fait aux mêmes endroits.

“Mais que fait un si grand arbre dans un si petit jardin ? Il faudrait le supprimer pour mettre autre chose !”. Voici la réflexion qui revient souvent lorsque quelqu’un entrait dans ce jardin. Le même sujet était d’ailleurs souvent sur le tapis pour le grand magnolia de mon ancien jardin. Arbre grâce auquel justement j’étais tombée en amour pour ce jardin lors de la visite de cette maison, prometteur de jeux multiples pour les futurs bébés… ce qui fut évidemment le cas par la suite !

Puis sont arrivées d’un seul coup de très chaudes et brûlantes journées…

Sous le grand frêne, j’ai installé une table en bois comme celles que l’on trouve dans les espaces verts pour pique-niquer. Sous le grand frêne, c’est le seul endroit où il fait doux lorsque le mercure monte. À l’ombre dansante du grand frêne, j’ai espoir que  les tomates, que j’ai vu brunir l’été dernier sous la morsure du soleil dans mon ancien jardin, seront protégées par intermittence dans la journée. À l’ombre du grand frêne, j’ai pu déplacer le trampoline des enfants qui serait impraticable en plein soleil autrement. Sous le grand frêne,  je suis installée à l’instant même pour écrire ces lignes et profiter de la douceur du soir et du ballet des oiseaux…  et je suis très contente d’avoir ce grand arbre dans mon jardin.

Je ne suis pas propriétaire de cet endroit mais pour l’instant ici c’est chez moi. Au pied du grand frêne après mon passage continueront sans doute à s’épanouir les coucous, le muguet, les pensées sauvages et la corbeille d’argent que j’y ai planté.es. Mais je sais qu’un jour prochain ils démoliront le bâtiment ancien dans lequel j’habite pour y construire un immeuble. Et je suis presque sûre qu’à ce moment-là, ils couperont ce grand frêne qui, comme tous les grands arbres, a une histoire qui me laisse toujours songeuse et reste un poumon vert pour nous tous, nous permet de respirer…

“Et pendant qu’on parlait, l’arbre est tombé pour de bon…”  Francis Cabrel, L’Arbre va tomber

Les géants tombent en silence, Barroux, Seuil jeunesse, juin 2021

Les éditions du Seuil ont fait un partenariat avec Reforest’Action autour de cet album pour replanter autant d’arbres que de livres vendus. Une belle initiative qui donne une raison de plus de le mettre entre toutes les mains pour ouvrir la réflexion et le dialogue autour de la protection de notre environnement, de notre cadre de vie et de la qualité de vie qui en découle…

Je profite de ce post pour laisser une trace ici en images d’un tout petit aperçu de ce qui pousse chez nous à l’ombre du grand frêne. Nos semis à 6 mains se sont transformés en belles plantes qui ont rejoint les carrés potagers de récup installés un peu partout dans le jardin et des fleurs et arbustes planté.es ça et là transforment petit à petit le paysage.  Marin a son propre petit potager et après l’avoir préparé, place à l’observation de la croissance des plants. Et moi, je fais un petit tour chaque jour en rentrant du travail pour guetter la moindre tige qui fait son apparition au sol, la moindre fleur annonciatrice, je l’espère, de bonnes choses à venir  !  Allez-vous reconnaître ce que sont ces petits bouts de vert ?

 

“Et si la pluie tombe indéfiniment

Et si la Terre nourrit plus nos enfants

Qu’est-ce qu’il nous reste que les yeux pour pleurer fallait p’t-être y penser avant .

Oui avant.

Pour nos enfants”

Florent Pagny, Qu’est-ce-qu’on a fait (Réaliste, 1992)

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